Le projet de « réforme globale » du régime fiscal de l’Assurance Vie annoncé ces dernières semaines vient d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale.
Inspiré des conclusions du rapport Berger Lefebvre sur l’Epargne Financière des Ménages il en reprend l’une des propositions principales : la volonté de réorienter l’épargne vers la détention d’actifs investis dans l’économie productive.
Favoriser le développement des fonds Eurocroissance grâce un mécanisme « Fourgous » étendu
Plutôt que de proposer la création d’un nouveau type de contrat les auteurs du Projet de Loi entendent privilégier l’investissement sur un type de fonds dont le mécanisme est déjà prévu par le
Code des Assurances.
Le fonds « Eurocroissance »1, a la même orientation que le fonds Eurodiversifé créé par la Loi Breton du 26 juillet 2005. Il s’agit d’un actif original dans lequel la garantie de l’assureur ne joue qu’au terme du contrat, généralement 8 ans. Dans la mesure où la garantie n’est pas immédiate (absence d’effet cliquet), l’assureur a donc la possibilité de diversifier ses placements en
les affectant à des actifs pouvant offrir, sur la durée, une meilleure performance que les actifs dits « sans risque».
Les pouvoirs publics souhaitent ici encourager les souscripteurs à investir leur épargne sur des supports de ce type, susceptibles d’offrir une valorisation plus élevée que le support en euros,
contre l’abandon d’un mécanisme de garantie permanente.
Transformation des contrats en cours
Afin d’encourager le transfert d’une partie des 1.400 milliards d’€ investis sur les contrats d’assurance vie, le projet de Loi s’inspire du mécanisme « Fourgous » (créé en 2005) et complète l’article 125-0 A du Code Général des Impôts.
Ainsi ne constituerait pas un dénouement et ne donnerait pas lieu à imposition des produits constatés à cette occasion la transformation d’un contrat en Euros ou Multisupports vers un
contrat dont les primes pourront être (partiellement ou intégralement) affectées à l’acquisition d’unités de compte ou de parts de fonds Eurocroissance.
Au dispositif actuel (le dispositif Fourgous n’est pas abrogé par le projet de Loi) le législateur ajouterait la possibilité de bénéficier de la neutralité fiscale d’une transformation lorsque le contrat de destination comporte un support de type Eurocroissance.
On notera qu’à ce stade du projet le texte ne précise pas si une part minimum de l’épargne transférée doit être investie sur les supports éligibles alors que, dans le cadre Fourgous, un
minimum de 20% en unités de compte est préconisé.
Des précisions sur ce point seront sans nul doute apportées par les textes commentant ce nouveau régime.
Conséquences « sociales » de la transformation
Dans la mesure où le support Eurocroissance se distingue du support en Euros classique par l’existence d’une provision pour diversification qui n’est définitivement acquise qu’au terme du
contrat, il est proposé d’instaurer un nouveau fait générateur d’assujettissement aux contributions sociales : l’atteinte de la garantie pour les sommes investies sur ce support. En d’autres
termes le fonds Eurocroissance du contrat se comporterait comme une unité de compte jusqu’à l’acquisition de la provision pour diversification. Au moment où la garantie est acquise les
contributions seraient dues sur la différence entre la valeur atteinte et les primes versées sur ce support.
Enfin pour compenser, pour l’Etat, le manque à gagner « social » résultant de l’arbitrage du support en Euros vers le support Eurocroissance (sans garantie immédiate) lors de la transformation visée au 125-0 A, il est créé une taxe de 0.32%, calculée sur la part d’épargne précédemment investie en euros. Cette taxe sera supportée par l’assureur et versée au Trésor lors de la transformation.
On peut s’étonner de cette mesure. Outre le fait qu’elle augmente les charges supportées par l’entreprise d’assurance, on notera qu’aucune compensation n’est due à ce jour lorsque l’assuré arbitre au sein du même contrat entre le support en euros et un support en unité de compte ce qui pourtant conduit aux mêmes effets !
Favoriser certains secteurs économiques par la modification du régime fiscal en cas de décès
Augmentation du taux de prélèvement
L’article 990I du CGI prévoit aujourd’hui une taxe de 20% sur les capitaux décès inférieurs à 902 838 € et 25% pour les capitaux supérieurs à cette limite.
Cette taxe s’applique, pour chaque bénéficiaire, après un abattement de 152.500 € dont on constate qu’il n’est pas modifié par le Projet de Loi.
En revanche le taux marginal de taxation serait porté de 25% à 31,25% pour les capitaux décès supérieurs au seuil ci-dessus. Ce nouveau taux d’imposition s’appliquerait aux contrats en
cours relevant de l’article 990I du Code Général des Impôts, souscrits ou alimentés à compter du 13 octobre 1998 pour les décès intervenant après l’entrée en vigueur de la Loi. Les règles concernant les versements effectués après 70 ans ne sont pas modifiées (article 757 B CGI).
Création d’un nouveau contrat d’assurance
Afin de réduire le taux réel d’imposition pour certains bénéficiaires, ou de compenser l’augmentation du taux marginal pour d’autres, il est proposé de créer un nouveau type de contrat
d’assurance vie dont les capitaux décès pourront bénéficier d’une réfaction de 20% pour le calcul de l’imposition.
Il s’agira de contrats ne comportant que des engagements en unités de compte (et ne comportant donc ni actif en Euros ni fonds Eurocroissance) dont au moins 33% de l’épargne est affectée à des supports investis dans des secteurs jugés plus utiles au développement économique :
- fonds contribuant au financement du logement social ou intermédiaire
- fonds dont l’actif est composé de FCPR, FCPI, FIP, de capital risque ou d’actions de PME ou ETI
- fonds comportant des actifs relevant de l’économie sociale et solidaire
Ces contrats pourront être souscrits à compter du 1er janvier 2014 par versement de primes nouvelles, ou adoptés dans le cadre d’une transformation réalisée, selon les modalités décrites
plus haut, entre le 1er janvier 2014 et le 1er janvier 2016.
Illustration
Quelle est la portée de ce nouveau dispositif ?
Prenons l’exemple d’une personne de 67 ans, qui a souscrit en novembre 2010 un contrat d’assurance-vie pour 2 000 000 € et désigne son fils comme bénéficiaire unique.
Le souscripteur décède en mars 2014 laissant un capital décès de 2 300 000 €.
Avec un Contrat classique ² | Avec un Contrat Nouveau ² | |
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Capital Décès | 2 300 000 € | 2 300 000 € |
Abattement 20% | – 460 000 € | |
Abattement fixe | – 152 500 € | – 152 500 € |
Taxable | 2 147 500 € | 1 687 500 € |
Tranche à 20% | 902 838 € Soit 180 567 € |
902 838 € Soit 180 567 € |
Tranche à 31.25% | 2 147 500 – 902 838 Soit 388 956 € |
1 687 500 – 902 838 Soit 245 206 € |
Total Droits | 569 523 € | 425 773 € |
On observera que le montant de la taxe aurait été aujourd’hui de de 491 732 €.
Il est difficile à ce stade de dire quel pourra être le succès de cette nouvelle offre, mais on peut rester prudent quant à son développement. Les exemples passés (contrats DSK, NSK etc..) ne démontrent pas vraiment que les souscripteurs sont prêts à accepter une part significative de risque pour un avantage fiscal somme toute assez réduit. La fiscalité décès du contrat d’assurance vie, même aggravée, reste toujours avantageuse comparée aux taux marginaux d’imposition au titre des droits de succession (jusqu’à 45% en ligne directe).
Les souscripteurs susceptibles de transmettre plus d’1 M€ à chacun de leurs bénéficiaires seront-ils séduits ? Probablement et l’exemple ci –dessus peut les encourager.
Mais les ménages qui détiennent des contrats d’assurance vie dont les encours sont supérieurs à 500 000 € ne représentent que 1% seulement des souscripteurs.
On peut donc raisonnablement penser que les assurés pouvant montrer de l’intérêt pour des contrats «économiquement responsables » seront encore moins nombreux. A cet argument on ajoutera la possibilité pour le souscripteur de multiplier le nombre des bénéficiaires ou privilégier les bénéficiaires exonérés (conjoint par exemple) pour éviter l’atteinte du seuil.
On peut par ailleurs trouver contradictoire l’exigence d’un investissement en unités de compte (qui comporte nécessairement un risque) au jour du décès et celles posées en matière de devoir de conseil. Comment les intermédiaires d’assurance pourront-ils conjuguer, pour les personnes âgées, la recherche d’un avantage fiscal au décès et la diminution du risque ?