Par un arrêt en date du 4 juillet 2017, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel. Cette QPC porte sur la constitutionnalité de l’alinéa 1er de l’article 757B du Code général des impôts (CGI) relatif à l’assiette des droits de mutations à titre gratuit sur les contrats d’assurance-vie.
Pour bien comprendre ce qui pose problème aux yeux de la cour de Cassation, il convient de faire un bref rappel sur la fiscalité applicable aux contrats d’assurance-vie. En effet l’assurance-vie qui se trouve être l’un des placements épargne préféré des français bénéficie d’une fiscalité très avantageuse qui s’applique en deux temps. Elle sera différente selon que les primes ont été versées avant ou après le soixante-dixième anniversaire de l’assuré.
- Fiscalité applicable aux primes versées avant 70 ans
Toutes les primes versées avant les 70 ans de l’assuré seront taxables sur la base de l’article 990 I du CGI, dans cette situation l’imposition se fera de la manière suivante :
De 0 à 152 500 euros | 0% |
De 152 501 à 700 000 euros | 20% |
Au-delà de 700 000 euros | 31,25% |
Ainsi chaque bénéficiaire bénéficie d’un abattement d’un montant de 152 500 euros.
- Fiscalité applicable aux primes versées après 70 ans
Dans cette situation, toutes les primes versées après le 70ème anniversaire de l’assuré seront taxables sur la base de l’article 757 B du Code Général des Impôts. Ici la taxation est un peu moins avantageuse, l’abattement n’est plus que de 30 500 euros tout bénéficiaire confondu. Concrètement cela signifie que s’il y a trois bénéficiaires au contrat ils devront se partager l’abattement au prorata des sommes reçues par chacun.
Une fois l’abattement déduit, les sommes restantes seront soumises aux droits de mutations à titre gratuit.
Dans le cas particulier où les capitaux restants lors du décès de l’assuré sont d’une valeur inférieure au montant des primes totales versées pendant la durée du contrat, on parle de contrat « en perte ».
C’est dans cette situation que l’on retrouve le contentieux faisant l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. En effet, il y a un désaccord sur l’assiette des droits de mutations qui sera soumise à l’article 757 B du CGI.
Selon l’article du Code général des impôts, l’assiette des droits de succession est composée des primes versées après l’âge de soixante-dix ans. Ceci étant une interprétation stricte du texte amène à ne pas tenir compte des éventuels retraits ou avances non remboursées qui auraient pu être effectués par l’assuré, plaçant ainsi le contrat en perte. Cela signifie que la taxation se fait sur des sommes qui ne sont plus présentes sur le contrat au jour du décès de l’assuré.
La Cour de Cassation se demande si cette interprétation stricte du texte n’est pas contraire à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui énonce rappelons-le : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cet article indique que la contribution commune, autrement dit l’imposition doit être proportionnée aux facultés de chaque contribuable, or en taxant les bénéficiaires de contrat d’assurance-vie sur des sommes dont ils ne disposent pas l’article 13 de la DDHC n’est pas respecté.
Pour pallier à ce défaut de prise en considération des retraits intervenus entre le moment du versement et le décès de l’assurée, l’administration fiscale admet l’utilisation par les organismes d’assurance de la « méthode globale ». Par cette méthode, le montant des capitaux soumis aux droits de mutations par décès en application de l’article 757 B du CGI peut être déterminé en déduisant du montant total des capitaux versés aux bénéficiaires la valeur de rachat soumise à l’article 990 I du CGI calculée selon la méthode globale.
Illustration :
Hypothèse de départ : M. X a conclu un contrat d’assurance vie dont le capital est exprimé en unité de compte et sur lequel il verse une première prime avant ses 70 ans de 200 000€ et une seconde prime après ses 70 ans de 800 000€.
Au jour de son décès la valeur de rachat du contrat est égale à 700 000€ et M. X n’a qu’un seul bénéficiaire.
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Application stricte des textes | Application doctrine administration fiscale : méthode globale |
· Article 990 I du CGI Le montant des versements avant les 70 ans de l’assuré est égal à 200 000€ Possibilité d’appliquer l’abattement de 152 500€ Soit 200 000 – 152 500 = 47 500 La somme de 47 500 € sera imposée au taux de 20%.
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· Article 990 I du CGI
Si on applique la méthode globale il faut déterminer la base soumise à chaque article.
= 0.2
Au jour du décès la valeur de rachat du contrat est égale à 700 000€ Soit 700 000 X 0.2 = 140 000 Donc la valeur soumise à l’article 990 I CGI est 140 000. Après application de l’abattement de 152 500 euros aucune somme ne sera taxée au titre de cet article.
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· Article 757 B CGI
Le montant des versements survenus après les 70 ans de l’assuré est égal à 800 000€. Selon une interprétation stricte du texte l’assiette taxable est égale aux primes versées donc 800 000€. Application de l’abattement de 30 500€. 800 000 -30 500 = 767 500€
Ainsi le montant soumis aux droits de successions en vertu de l’article 757 B du CGI est égal à 767 500€. |
· Article 757 B CGI Avec l’application de la méthode globale la détermination de l’assiette de l’article 757 B : Valeur de rachat – valeur soumise à 990 I = 700 000 – 140 000 = 560 000 Application de l’abattement de 30 500€ 560 000 – 30 500 = 527 500€
Ainsi le montant soumis aux droits de successions en vertu de l’article 757B du CGI est égal à 527 500€ |
Source : BOFIP
Cet exemple illustre parfaitement les différences engendrées par l’application de l’une ou l’autre méthode. À l’heure actuelle, il nous reste à attendre la décision du conseil constitutionnel qui devrait nous éclairer sur la méthode à adopter. En effet, si ce dernier juge l’alinéa 1er de l’article 757 B du CGI comme étant inconstitutionnel car contraire à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il faudra alors certainement se référer à la méthode développée par l’administration fiscale.
Affaire à suivre …